Quelle prévention des TMS dans un monde du travail en mutation ?

Les TMS constituent un objet de prévention complexe lié à leur diversité, à leur évolutivité très variable, à la multiplicité de leurs facteurs de risque et déterminants, dans un modèle probabiliste et non déterministe. Les chiffres de la sinistralité en France et dans la plupart des pays économiquement développés sont difficiles à infléchir et gagnent progressivement les pays émergents, également en prise avec ce fléau. Pourtant, des efforts importants sont déployés depuis de nombreuses années pour enrayer ce phénomène. Ils sont axés sur l’accroissement des compétences de divers niveaux d’acteurs, le développement de démarches, méthodes, outils mis à disposition des préventeurs et des entreprises et sur les retours d’expérience qui se multiplient pour tendre vers l’amélioration progressive des pratiques. Comment expliquer que les résultats restent en deçà des enjeux de prévention des TMS ? Comment prévenir les TMS dans un monde du travail en mutation ? Cette évolution s’opère dans un contexte de vieillissement de la population active et de recul progressif de l’âge de la retraite dans de nombreux pays. Elle s’accompagne d’un remodèlement progressif des secteurs d’activité, de plus en plus tournés vers des activités tertiaires, pas forcément synonymes de travail bureautique, à l’exemple des activités de soins et services à la personne, ou du transport et de la logistique ; dans le même temps, la délocalisation d’activités industrielles vers les pays émergents s’est poursuivie. La fragilisation des contrats durables au profit de nouvelles formes d’emploi plus précaires ainsi que l’émergence de nouvelles formes de travail (travail à distance, co-working…), de même que la prise de conscience des enjeux écologiques de plus en plus prégnants et l’émergence de nouvelles technologies (NT) complètent ce tableau, dressant les grandes lignes des tendances évolutives du monde du travail. La pandémie de Covid-19 a accéléré un certain nombre de transformations, s’agissant notamment de l’usage massif des technologies de l’information et de la communication (Tic). Elle a aussi entrainé la remise en question de certaines options macro-économiques, avec des interrogations portant notamment sur la relocalisation de certaines activités industrielles, voire l’émergence de courants alternatifs, empruntés par des travailleurs en quête de plus de sens dans le travail, et le retour à des métiers traditionnels, porteurs de valeurs de savoir-faire et d’un mode de vie plus respectueux de l’environnement. Ces évolutions ont un impact sur la dynamique d’apparition des TMS, à différents niveaux en matière de conditions de travail ((dés)organisation spatiale et temporelle, nature et répartition des tâches, contrôle sur le travail, fonctionnement du collectif, développement du comportement sédentaire en lien avec les Tic, …) et influent également sur les pratiques de prévention (accès aux travailleurs et au milieu de travail, conséquences sur la traçabilité des expositions, les possibilités d’intervention et le suivi de la santé des travailleurs). Dans le même temps, le monde de la prévention se reconfigure et s’adapte progressivement aux nouveaux enjeux, avec l’émergence de nouveaux acteurs, dans un environnement pluridisciplinaire qui s’affirme, en réponse pour partie à des contraintes démographiques devenues inéluctables, mais aussi de par la nécessité de combiner une diversité de compétences pour agir efficacement dans la durée. Il s’adapte également en saisissant l’opportunité des NT au service de la prévention. Les NT sont en mesure d’apporter une assistance physique et cognitive aux travailleurs, ont un potentiel intéressant en matière d’ergonomie de conception, en prévention primaire et peuvent, sous certaines conditions, faciliter le suivi des expositions et de leurs effets sur la santé. Elles peuvent favoriser l’interconnexion de divers acteurs de prévention pour la conduite d’actions concertées, la réalisation de consultations pluridisciplinaires, la mise en commun d’informations utiles à la prévention des TMS. Elles offrent également un potentiel intéressant pour toucher des travailleurs à distance, en matière de sensibilisation et de formation vis-à-vis du risque de TMS, quel que soit leur statut contractuel. Ces applications potentielles ne doivent pas pour autant occulter les risques inhérents à leur usage ; celui-ci pourrait encourager des approches reposant sur la traçabilité individuelle des expositions et de la santé, débouchant sur des mesures comportementales, relevant de la responsabilité exclusive du travailleur. Or, les leviers d’action pour prévenir les TMS relèvent d’une approche systémique, pluridisciplinaire, collective et organisationnelle, seule à même d’aboutir à une prévention durable des TMS. Il est donc impératif de construire des stratégies d’intervention durables, éthiques et respectueuses de ces principes, tout en étant adaptées aux mutations en cours. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour les prochaines années.