Le pêcheur qui meurt de sa pêche

En zone d’endémie de la ciguatera, le diagnostic d’un ichtyosarcotoxisme faisant suite à la consommation d’un poisson de mer doit tenir compte de l’existence d’autres complexes toxiniques que le ciguatoxisme. Parmi ceux-ci, le tétrodotoxisme mériterait d’être mieux connu, car il est susceptible de mettre en jeu le pronostic vital. Nous décrivons trois cas de tétrodotoxisme, dont un mortel, survenus à Nouméa en août 2014 ; les observations ont été recueillies au centre hospitalier territorial de Nouvelle-Calédonie. Des prélèvements post-mortem et hospitaliers ont été réalisés et sont en cours d’analyse. La tétrodotoxine (TTX) étant un composé polaire non volatile, l’analyse LC-MS2 est particulièrement adaptée pour le dosage de la TTX et de ses dérivés dans les prélèvements urinaires et sanguins des victimes. Les colonnes HILIC (Hydrophilic Interaction LIquid Chromatography) autorisent une bonne séparation de la TTX et de ses analogues. Quatre hommes âgés de 33, 34, 37 et 38 ans, sans antécédents médicaux connus, consomment vers 18 heures un poisson bouilli non préparé que l’un d’entre eux vient de pêcher. Le pêcheur, le plus âgé, mange la plus grande partie du foie et les gonades dans leur totalité ; deux autres convives absorbent l’un de la chair en grande quantité, l’autre du foie en petite quantité ; le plus jeune ne consomme qu’une petite portion de chair. Rapidement, surviennent chez les trois premiers consommateurs des signes digestifs à type de nausées, de vomissements et de douleurs abdominales diffuses, accompagnés de signes neurologiques à type de paresthésies péribuccales, faciales et des extrémités et de sensations ébrieuses avec ataxie. Les trois sujets se couchent et s’endorment. Au matin, le pêcheur est retrouvé décédé dans son lit ; chez les deux plus jeunes, si le tableau digestif a régressé, le tableau neurologique s’est complété avec l’apparition d’une tétraparésie. Le quatrième consommateur a regagné son domicile et reste indemne de tout signe d’intoxication. Les deux patients sont hospitalisés et le tableau neurologique s’amende au bout de 48 h, puis disparaît après quelques jours. Un poisson-ballon à taches noires Arothron nigropunctatus (Tetraodontidae) est identifié sur présentation de photos de poissons à l’un des patients. La tétrodotoxine (TTX), tout comme les ciguatoxines (CTX), agit sur les canaux sodiques voltage-dépendants des membranes neuronales. La TTX bloque ces canaux, entraînant une interruption de la conduction nerveuse et de la contraction musculaire. Certains signes digestifs (nausées, vomissements, voire douleurs abdominales) sont communs aux deux intoxications. L’originalité du tétrodotoxisme tient à un tableau neurologique précoce et quelquefois sévère, associant paresthésies péribuccales et linguales, puis paresthésies des membres, troubles de la sensibilité proprioceptive, pallesthésique et cénesthésique (à l’origine d’une sensation d’apesanteur), troubles de l’équilibre avec ataxie et vertiges, troubles moteurs d’installation progressive aboutissant dans les cas les plus sévères à une tétraparésie flasque et à une paralysie des muscles respiratoires susceptible d’entraîner le décès par anoxie dans environ 50 % des cas, en l’absence de soins. L’information des consommateurs quant au risque létal encouru lors de la consommation de poissons de la famille des Tetraodontidae doit être entreprise, y compris dans des zones géographiques telle que la Méditerranée. En effet, les Tetraodontidae du genre Lagocephalus (L. sceleratus, L. spadiceus et L. suezensis) sont parmi les espèces les plus envahissantes (migration translessepsienne) de cette région. Ces poissons sont débarqués illégalement et sont consommés sur les côtes méditerranéennes orientales. Le diagnostic de tétrodotoxisme est clinique.