À propos de plusieurs cas d’overdose en Île-de-France par des héroïnes adultérées aux cannabinoïdes de synthèse

Objectifs Documenter une cohorte d’overdoses collectives à l’héroïne.En Île-de-France, entre le 16 et le 18 mai 2023, près de 25 cas d’overdoses à l’héroïne nécessitant une hospitalisation voire une admission en réanimation ont fait l’objet d’une alerte sanitaire. Tous les patients présentaient un toxidrome opioïdergique incluant une bradypnée, un trouble de la conscience et un myosis, amélioré cliniquement après administration de naloxone. Par ailleurs, des atypies cliniques, telles que crises convulsives, hallucinations ou tachycardie ont été observées. Des analyses toxicologiques ont été menées sur les échantillons biologiques prélevés lors de la prise en charge clinique ainsi que sur des poudres saisies a posteriori sur les différents sites en Île-de-France où des cas d’overdose ont été signalés. Méthode Des prélèvements urinaires ont été effectués chez huit patients, avec, pour quatre d’entre eux, des prélèvements sanguins associés. Après extraction liquide-liquide, une analyse toxicologique non ciblée basée sur la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse à haute résolution (LC-ESI-HRMS) a été effectuée, suivi d’un retraitement de données qui implique l’utilisation des réseaux moléculaires (Magny et al. Metabolites 2022). Par ailleurs, les sept échantillons de poudre récupérés ont été analysés par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC-EI-MS) et par LC-ESI-HRMS. Résultats L’analyse qualitative des poudres a révélé, dans tous les échantillons collectés, la présence d’opiacés naturels, dont l’héroïne, la mono-acétylmorphine, la morphine, l’acétylcodéine, la codéine, la noscapine et la papavérine, d’un opiacé synthétique, le dextrométorphane, ainsi que trois cannabinoïdes de synthèse, le MDMB-4en-PINACA, le MDMB-BUTINACA et l’ADB-BUTINACA. Les pourcentages moyens (extrêmes) en héroïne et cannabinoïdes de synthèse étaient respectivement de 23 % (9,3–30 %) et 5,8 % (1,8–11 %). Concernant les analyses toxicologiques urinaires, les huit patients étaient positifs à la 6-mono-acéthylmorphine, à la morphine, et chez quatre d’entre eux, à l’héroïne. Les autres opiacés ou certains de leurs métabolites, ont également été détectés dans tous les prélèvements urinaires analysés. Concernant les cannabinoïdes de synthèse, les trois molécules mères, à savoir le MDMB-4en-PINACA, le MDMB-BUTINACA et l’ADB-BUTINACA, ont été identifiées dans les quatre prélèvements sanguins analysés. L’approche par réseaux moléculaires a permis d’identifier neuf métabolites des trois cannabinoïdes de synthèse, confirmés dans les prélèvements sanguins et/ou urinaires. Conclusion Les analyses toxicologiques réalisées dans le sang et dans l’urine ont permis de confirmer une consommation mixte d’héroïne et de trois cannabinoïdes de synthèse par les huit patients, en accord avec la symptomatologie observée et ayant pu contribuer à la gravité des tableaux cliniques. L’analyse qualitative et quantitative des poudres collectées durant la période où les patients ont été hospitalisés a confirmé la présence d’héroïne, synthétisée à partir d’opium brut en raison de la détection de plusieurs alcaloïdes isoquinoléiques. Par ailleurs, la teneur moyenne en héroïne a été établie à 23 % et se situe dans la fourchette haute du pourcentage moyen de pureté de l’héroïne en Europe, compris entre 16 et 24 % (EMCDDA, European Drug Report 2023). Cependant, bien que les sept échantillons de poudre analysés étaient similaires qualitativement, des disparités quantitatives dans la teneur en héroïne et en cannabinoïdes de synthèse ont été observées. Un seul cas d’héroïne adultérée aux cannabinoïdes de synthèse a été rapporté aux États-Unis avec le MDMB-5F-PINACA, un autre membre de la famille des cannabinoïdes à structures indazoliques (Ershad et al. Clin Pract Cases Emerg Med 2020). En conclusion, cette étude souligne l’importance de l’analyse conjointe d’échantillons biologiques, réalisée dans le cadre de prise en charge clinique, avec des poudres saisies pouvant avoir été consommées par le patient. Elle démontre également l’intérêt de l’utilisation d’une approche non ciblée utilisant les réseaux moléculaires dans le dépistage des métabolites de nouveaux produits de synthèse.