Un panorama actuel de la nature de « La Chimique » consommée à Mayotte : résultats préliminaires de CHASSE-MARÉE

Mayotte, département français situé dans le canal du Mozambique, est confrontée depuis plusieurs années à la consommation de « la chimique », réputé pour être un mélange de tabac et de cannabinoïdes de synthèse. Principalement consommée par des jeunes hommes en situation précaire, à l’origine de décompensations psychiatriques, d’évanouissements, et de manifestations d’agressivité [Taïrou AC et al. OFDT 2018 80pp ISBN:979-10-92728-20-0], « la chimique » est un problème majeur de santé publique sur ce territoire. Le projet CHASSE-MARÉE, soutenu par l’ARS de Mayotte, est proposé par le Centre universitaire de formation et de recherche de Mayotte en partenariat avec la Plateforme Oppelia de prévention et de soin des addictions à Mayotte (POPAM), le CHU de Lille, le CEIP de Bordeaux et l’OFDT. Il a pour objet d’évaluer la composition et l’hétérogénéité de la « chimique » par des campagnes successives de collectes auprès des usagers et de confronter les résultats aux questionnaires renseignés par les consommateurs. Actuellement en cours, nous en présentons ici les premiers résultats analytiques (échantillons collectés en 2022). Collectés sur le terrain par la POPAM, les échantillons sont acheminés au laboratoire de Lille sur ordre de mission de l’OFDT pour y être analysés selon une méthodologie éprouvée depuis de nombreuses années [Richeval C et al. Toxicol Anal Clin 2017:29(1);144–45] : 10 mg de chaque échantillon sont mis en solution dans 1 mL de méthanol, puis placés aux ultrasons pendant 10 minutes. Après dilution au 1/100e dans du méthanol, 50 μL sont dilués avec 100 μL d’un mélange de tampon formiate d’ammonium pH 3/acétonitrile, et 50 μL d’étalons internes dans du méthanol. L’analyse est réalisée par LC-HRMS à l’aide d’un AcquityTM UPLC couplé à Xevo G2 QTOF (Waters). La séparation chromatographique est réalisée par une colonne AcquityTM HSS C18 1,7 μm, 150 × 2,1 mm et les données obtenues (mode MSE positif) sont retraitées à l’aide d’une bibliothèque spectrale (1) « maison » de plus de 1700 substances incluant 750 NPS et métabolites, et (2) en ligne, HighResNPS [Mardal M et al. JAT 2019;47(7):1–8]. Entre septembre et décembre 2022, 80 échantillons ont été collectés sur l’ensemble de l’île sur 3 périodes, 71 sous la forme habituelle de « la chimique », soit un petit papier plié contenant du tabac, 5 poudres et 4 cigarettes. Dans ces échantillons, ont été identifiés (occurrences) : – des cannabinoïdes de synthèse : MDMB-4en-PINACA (35), ADB-FUBIATA (20), MDMB-INACA (16), ADB-BUTINACA (15), AFUBIATA (11), 4F-MDMD-BICA (7), CH-PIATA (5), 5C-APINACA (3), MDA 19 (2), et 4F-ABINACA (1) ; – de la nicotine (68), du THC (2) du CBN et CBD (1) ; – des médicaments : amantadine (11), cyamémazine (6), paracétamol (3) ; – et d’un NPS : bromazolam (4). Les cannabinoïdes de synthèse utilisés actuellement sont variés (et pour certains d’usage très peu documentés) et le marché des « cuisiniers » (ceux qui préparent « la chimique ») est dispersé selon la localisation et le moment de la collecte. Les « cuisiniers » associent régulièrement plusieurs cannabinoïdes de synthèse et, parmi les produits ajoutés, il faut noter la cyamémazine et l’amantadine, dont le mécanisme d’action est complexe mais probablement NPS-like : antagoniste NMDA (ketamine-like). Toutefois, il ne semble pas que des recettes stables permettent de marquer tel ou tel secteur géographique à Mayotte. Ces résultats pour le moment qualitatifs vont être complétés par l’analyse d’échantillons collectés au premier semestre 2023, des études de métabolisme pour les cannabinoïdes de synthèse mal documentés, et surtout par une description améliorée du panorama actuel de consommation de « la chimique » à Mayotte (cartographie, effets ressentis et dépendance…).